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Ces alliances devaient contribuer cependant à le pousser vers la carrière dramatique, qui parait avoir été sa véritable vocation. Cette année 1848 ne s’était pas écoulée qu’il faisait représenter les Libertins de Genève à la Porte-Saint-Martin, une pièce en cinq actes, d’un ton très élevé, d’un souffle puissant et soutenu, qui met en scène la lutte entre Calvin et Michel Servet. Ce fut un succès chaleureux et légitime ; je vois encore Victor Hugo au balcon, donnant le signal des applaudissements. On put croire un instant qu’un auteur de génie venait de surgir. Et, de fait, les Libertins de Genève, si complètement ignorés maintenant, représentent le plus grand effort littéraire de Marc Fournier. Ils seraient encore aujourd’hui l’honneur d’un débutant.

Le malheur est qu’il s’arrêta dans cette voie et qu’il se contenta d’être un homme de talent. Aux Libertins de Genève il fit succéder le Pardon de Bretagne, — où Saint-Ernest rendait avec beaucoup d’originalité une figure d’assassin-poète, évidemment calquée sur Lacenaire. Marc Fournier s’associa avec d’Ennery pour faire un Paillasse et avec Barrière pour faire une Manon Lescaut. Paillasse eut l’heureuse chance d’être joué par Frederick Lemaitre, et Manon Lescaut la mauvaise chance d’être jouée par Rose Chéri. Frederick était l’idéal du saltimbanque qu’il représentait, tandis que Rose Chéri n’avait rien de la fille entrevue par l’abbé Prévost.

En 1851, Marc Fournier, qui avait enfin trouvé des débouchés à son activité, se jugea mûr pour la direction de la Porte-Saint-Martin. À ce moment, ses instincts littéraires reprirent le dessus : il voulut sincèrement rendre ce beau théâtre au drame romantique et même à la poésie ; sa pièce d’ouverture fut com-