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petits mémoires littéraires

Je ne veux qu’ajouter quelques traits à une figure essentiellement parisienne, — si parisienne qu’on s’attend encore involontairement d’un instant à l’autre à la croiser au bout d’une rue.

Auber avait beaucoup de relations, mais peu d’amitiés. Il était défiant comme un Normand. Pourtant les habitudes de la vie de Paris le rapprochèrent insensiblement du docteur Véron.

Tous les deux étaient vieux garçons et vieux garçons endurcis. Tous les deux étaient des « épicuriens » attardés, Véron avec plus de morgue et de suffisance, Auber avec plus de discrétion et de distinction. Tous les deux avaient des points de vue semblables sur les choses et les hommes. Je ferai pourtant des réserves en faveur de Véron, qui avait ou qui s’était procuré le goût des objets d’art, des tableaux de maîtres, de l’ameublement, — tandis qu’Auber était logé comme un pire bourgeois, avec deux ou trois bustes en plâtre bronzé et des gravures d’héritage.

Tous les deux, ces êtres sans famille, s’étaient rencontrés dans leur goût des petites loges profondes de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, où chanteuses, danseuses et même figurantes briguaient l’honneur de venir à tour de rôle occuper une chaise derrière ces sultans sexagénaires.

Et puis, quand la représentation touchait à sa fin, leurs voitures les attendant, tous les deux s’en allaient parfois finir la soirée rue des Moulins, chez la, Guérin, une contrefaçon moderne de la Gourdan ou de la Fillon, s’attablant à une partie de cartes ou de dominos, gais si l’on veut, spirituels assurément, mais toujours avec cette froideur de deux vieux garçons qui n’ont que des distractions d’apparat.