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petits mémoires littéraires

toujours de s’aventurer sur la bosse aux œufs d’or.

Le petit banquier de Francfort ne tarda pas à s’apercevoir de ce manège, dont la cause lui échappait ; — et dès lors il s’appliqua à éviter Méry avec le même soin que Méry mettait à le rencontrer.

Il n’y réussissait pas toujours, car Méry avait la ténacité et la ruse du chasseur. Rien n’était plus comique pour les initiés que ces deux hommes courant de salon en salon…

Ceux qui se rappellent combien l’auteur d’Heva était myope comprendront qu’il n’apportât aucune discrétion dans sa poursuite.

Un jour que Méry avait perdu au trente-et-quarante une somme plus forte que d’habitude, il vint à moi d’un air abattu, et me dit :

— C’est singulier ! J’ai pourtant touché deux fois ce matin la bosse du banquier.

— Vous en êtes bien sûr ?

— Parbleu !

— Peut-être ne suffit-il pas de la toucher comme vous faites, ajoutai-je.

— Que voulez-vous dire ?

— Il faut sans doute la toucher à nu.

Méry me regarda avec stupeur. J’avais toutes les peines du monde à garder mon sérieux.

— Vous croyez ? dit-il.

— Assurément. Le vêtement est un mauvais conducteur de chance.

— Vous avez peut-être raison, reprit-il en devenant rêveur ; mais comment arriver à ce but que vous m’indiquez ? Cela me parait assez difficile.

— J’en conviens.

— Et très délicat.