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encore ; elle voulait qu’après avoir escorté le cercueil il prit la parole sur la fosse. Aussi, que d’oraisons funèbres il a prononcées ! On en établirait difficilement le nombre. Douloureuse spécialité, qui aurait fini par donner le vertige à de jnoins robustes que lui, et à laquelle il s’était plié et résigné depuis plus de cinquante ans !

Par une de ces ironies auxquelles se plaît le destin, le baron Taylor était aussi indispensable dans les banquets que dans les funérailles. Le même habit noir lui servait pour les cimetières et pour les restaurants. Les cinq associations festinaient fréquemment, et naturellement la présence de leur fondateur était obligatoire. L’excellent baron en avait pris son parti, comme des obsèques. Là aussi, il était obligé d’y « aller de son discours ». Et il y allait bravement, courageusement, ne ménageant pas sur l’étendue. Une fois lancé, il se prodiguait. Ceux qui l’ont entendu se rappellent cette éloquence familière, cette bienveillance parlée, ce flot d’anecdotes. Il lui arrivait souvent de forcer son organe, et il arrivait à de bizarres effets de voix de tête.

Une de ses péroraisons dont je me souviens fut celle-ci, prononcée à une réunion d’artistes dramatiques.

Il les avait longuement entretenus de leur profession ; puis, comme pour les rehausser à leurs propres yeux, il leur lança sur le mode aigu cette phrase triomphale : « Et surtout, messieurs, n’oubliez pas qu’un dos vôtres, Scaramouche, est enterré à Saint-Eustache !!! »

L’effet fut inouï.