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petits mémoires littéraires

ennemi irréconciliable et mortel : c’était Berlioz critique.

Ah ! celui-ci m’appartient ! Il m’appartient comme homme et comme écrivain. J’ai sous les yeux la collection de ses jugements sur la totalité des compositeurs du dix-neuvième siècle ; j’ai ses comptes rendus de la plupart des œuvres les plus remarquables de l’école moderne. Eh bien ! ce n’est pas toujours quelque chose de joli, je vous l’assure.

On avait été intolérant pour lui, il le fut pour tout le monde. On l’avait retardé, il retarda les autres. Il rejeta à la face des jeunes toutes les railleries qu’on lui avait jetées à lui dans sa jeunesse. Il avait souffert, il fit souffrir.

En vérité, il semble qu’on ignore ou qu’on veuille ignorer l’histoire artistique de notre époque. Ces feuilletons de Berlioz dans le Journal des Débats avaient des morceaux qui révoltaient et des calembours que les plus intimes vaudevillistes n’auraient pas osé ramasser, des facéties grosses comme des maisons, et qui faisaient croire à un tempérament joyeux. Quelle erreur !

Ce novateur était l’ennemi des novateurs. Cet audacieux barrait le chemin aux audacieux. Le nom de Richard Wagner le faisait écumer. Et cependant que d’analogies entre ces deux talents !

Le mouvement qui se produit dans l’opinion publique emprunte les apparences d’une amende honorable. On reproche au dix-neuvième siècle d’avoir méconnu et dédaigné Berlioz, de ne pas lui avoir accordé la place qu’il méritait. On dit : Vous l’avez abreuvé d’amertumes, vous avez fait de lui une sorte de paria musical, vous avez abrégé ses jours par une hostilité continuelle.