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père, qui accomplit le tour de force prodigieux de jouer le rôle de Figaro entre deux douches, épié de la coulisse par le docteur Blanche. — Oh ! ce jour-là fut en effet la Folle journée !

Sans quitter le Théâtre-Français, j’aperçois Guyon, le beau Guyon, qui fut un des trois vieillards héroïques des Burgraves et dont Victor Hugo écrivait : « Quand il apparaît au seuil du donjon avec sa belle et noble tête, son habit de fer et sa grande peau de loup sur les épaules, on croirait voir sortir de l’église de Fribourg-en-Brisgau le vieux Berthold de Zœhringen, ou de la collégiale de Francfort le formidable Gunther de Schwarzbourg. » Hélas ! Il a suffi d’un souffle, du premier vent venu pour renverser le géant Guyon.

C’est ordinairement par le manque de mémoire que la folie se fait jour chez les comédiens. Un beau soir, ils ouvrent la bouche, ils s’apprêtent à réciter leur rôle… et ils restent cois. Ils s’obstinent, ils veulent recommencer ; ils butent encore au même endroit. Ainsi est-il arrivé pour Berton père, à l’Odéon. — À la maison de santé, Berton père !

À la maison de santé, Desrieux, cet artiste aux manières si distinguées, cet homme d’une si bonne éducation !

À la maison de santé, Albert, de la Gaîté ! À la maison de santé, Lhérie et Camille Michel ! À la maison de santé Romanville, de l’Odéon ! À la maison de santé, Lacourière, du Palais-Royal ! À la maison de santé, André Hoffmann, le joyeux colosse ! À la maison de santé Lassagne, le roi des pitres ! À la maison de santé, tous ces cerveaux fragiles et fêlés, et usés !

Quand s’arrêtera cette ronde macabre, la plus macabre de toutes les rondes ?