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petits mémoires littéraires

Il y eut une minute de silence, au bout de laquelle Sainte-Beuve reprit :

— Je n’ai pas besoin de vous demander l’objet de votre visite. Vous voulez ma voix ?

— Je la désire tout au plus, répondit M. Barbier ; mais ce que je désire, principalement, c’est de savoir de vous, qui êtes aussi avant que possible dans les secrets de l’Académie, si j’ai raison de me porter comme candidat ?

— Raison, oui ; chance, non.

— Aucune chance ?

— C’est Théophile Gautier qui passera, dit Sainte-Beuve avec un accent affirmatif.

— Vous en êtes sûr ?

— Tout le monde est pour lui.

— C’est bien, dit M. Barbier en se levant.

— Eh bien ! où allez-vous ? fit Sainte-Beuve.

— Retirer ma candidature. Du moment où je n’ai aucune chance d’être reçu, je ne tiens pas à jouer un rôle ridicule.

Sainte-Beuve demeura muet. Il était évident qu’il se livrait en lui un combat entre son amitié d’autrefois et ses engagements de la nouvelle heure.

À la fin, il eut un brusque mouvement d’épaules et il dit à M. Barbier :

— Ne retirez rien.

— Pourquoi ?

— On ne sait pas ce qui peut arriver.

Avait-il eu une vision ?

Toutefois est-il que M. Auguste Barbier l’emporta sur Théophile Gautier et fut nommé membre de l’Académie française après plusieurs tours de scrutin.

M. Barbier fut reçu le 17 mai 1870. Il commença, dans son discours, par une preuve de suprême bon