Page:Monselet - Petits mémoires littéraires, 1885.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
petits mémoires littéraires

core un peu, et ce serait du génie. Ah ! ce diable de peu !

On a reproché quelquefois une certaine monotonie à la facture de M. Autran ; cela tient surtout à la nature des sujets pompeux qu’il affectionne. Son alexandrin a cette coupe ample, correcte, carrée, qu’on pourrait comparer aux larges basques d’un habit à la française. L’hémistiche y est scrupuleusement observé ; les enjambements sont de ceux seulement que l’usage et le bon goût tolèrent. Il ignore ou feint d’ignorer les progrès rythmiques accomplis depuis la Légende des siècles. L’instrument ancien lui suffit, et il en tire tous les sons possibles, mais le défaut des instruments anciens est d’appeler les airs anciens. Le souffle classique ramène parfois sous la plume de M. Autran des tours vieillis ; c’est ainsi qu’à un certain moment, il parle des existences moissonnées par le précoce destin.

L’Académie française ne hait pas ces formules et cette sagesse d’exécution ; elle décerna une nouvelle couronne à l’auteur de la Vie rurale, qui, dès lors, se crut en droit de poser sa candidature au fauteuil. Après quelques années de noviciat supportées avec la patience aisée de l’homme qui se sent sûr de son but, M. Autran fut élu en remplacement de Ponsard. Sa réception en séance publique eut lieu le 8 avril 1869. Mais déjà, depuis quelque temps, l’organe de la vue s’était affaibli chez M. Autran ; ses yeux étaient fatigués sans doute par la contemplation du soleil et de la mer. Afin de pouvoir lire son discours, il avait dû le faire transcrire en gros caractères. Cet épisode détermina un redoublement de sympathie dans l’auditoire.

Rendons-lui cette justice ; il n’outra pas l’éloge de