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chose, cela réussit d’une manière étourdissante. Le libraire s’est vanté d’en avoir vu « partir » plus de quarante mille exemplaires. Quelle éloquence que celle des chiffres !

Rendons-lui cette justice qu’il essaya d’élever son niveau dans un second roman : l’Histoire de Sibylle. Jusqu’alors il n’avait fait qu’effleurer la question religieuse, incidemment, par hasard. Il n’avait éclairé sa lanterne magique qu’avec des bougies, — des bougies roses ; — cette fois il alluma des cierges. La manière superlativement exquise avec laquelle il trempa le bout de ses doigts dans l’eau bénite acheva de tourner la tête aux belles théologiennes du faubourg Saint-Germain. On ne s’arrêta pas à examiner la dose de dilettantisme qui entrait dans ce catholicisme de roman ; on se laissa pieusement étourdir par l’odeur de patchouli mêlée à l’odeur de l’encens[1].

De ce jour, M. Octave Feuillet eut sa place marcquée à l’Académie française. Il n’y avait plus qu’à attendre la première occasion, c’est-à-dire le premier décès.

Le 26 mars 1863, M. Octave Feuillet venait occuper le fauteuil de Scribe, mort en voiture, au trot, comme il avait toujours vécu. Je laisse à penser si l’élément féminin dominait dans l’auditoire. Il faudrait remonter

  1. En dehors de l’admiration de parti, l’Histoire de Sibylle a soulevé de nombreuses controverses. Madame George Sand en a entrepris la réfutation dans son ouvrage intitulé : Mademoiselle de la Quintinie.
    Il est à remarquer que Madame Sand s’est toujours montrée préoccupée de l’influence (et du succès) de M. Octave Feuillet. Déjà, le Roman d’un Jeune homme pauvre lui avait fourni le sujet du Marquis de Villemer, lequel n’est autre, en effet, que le roman d’une jeune fille pauvre.
    ch. m.