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petits mémoires littéraires

Nous n’avons plus le Cirque et les gladiateurs.
Des cochers bleus et verts, des tigres pour acteurs ;
Nous avons le roman, les chroniques, les drames ;
On peut avec cela contenter bien des âmes.
Dans un État réglé, tout sert dorénavant,
Tout, le poète même et le singe savant,
Les dieux sur le retour entrent dans la police.
Ô groupe des Neuf Sœurs, si vieux et si novice,
Qui descendez du Pinde en rêvant d’un héros,

Allez chez l’inspecteur prendre vos numéros.
 
Noble temps, et sur qui mon vers ne saurait mordre,

Où la plume demande au sabre son mot d’ordre.

La licence parut un peu forte aux gouvernants d’alors. On trouva qu’il allait trop loin dans l’indépendance. Le ministre de l’instruction publique, qui était M. Rouland, adressa à l’Empereur le rapport suivant :

« Sire,

» M. Victor de Laprade, membre de l’Académie française et professeur à la faculté des lettres de Lyon, vient de publier dans le Correspondant une pièce de vers que je mets sous les yeux de Votre Majesté. Le poète a peut-être des privilèges qu’on refuserait à tout autre écrivain ; mais, si grands qu’ils soient, ils ne sauraient aller jusqu’à l’impunité d’allusions injurieuses envers le Souverain issu du suffrage universel et envers la nation qu’il gouverne glorieusement.

» Je regrette, Sire, que la violence des partis trouve des organes chez des hommes qui devraient, par respect pour eux-mêmes, se défendre de tout excès ; mais M. de Laprade semble aimer la célébrité qu’on acquiert par l’invective politique. Je doute donc que ce professeur puisse désormais enseigner à la jeunesse l’amour du pays qu’il outrage et la fidélité au gouvernement