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petits mémoires littéraires

l’Arbre, — l’arbre qu’il connaît, qu’il aime, qu’il a étudié intimement et auquel il a consacré un poème entier.

Heureux si M. Victor de Laprade s’en fût toujours tenu à ses arbres, à ce chêne, — son grand cheval de bataille littéraire ! Mais des amis imprudents, engagés dans la voie militante du journalisme, l’appelèrent à eux et lui conseillèrent d’ajouter une corde d’airain à sa lyre. Il eut le tort de les écouter, et, eu 1861, il commença, dans le Correspondant, une série de satires sociales et politiques, qui devaient être pour lui une source de désagréments non interrompus. Dans la première, dans sa pièce de début, il semble avoir prévu le sort qui l’attendait :

J’ai quitté cette fois mon Alpe solitaire :
Les chênes, dans mes vers, les torrents vont se taire.
Je m’interdis les bois, les sentiers écartés,
Par où je m’enfuyais loin des réalités…
Rentré chez les humains, puisque l’on m’y convie,
Je viens prendre mon poste au combat de la vie.
Je renonce à la paix des sereines hauteurs ;
On dit que le sommeil y gagnait mes lecteurs,
Las de suivre, à travers d’austères paysages,
D’impassibles héros sculptés dans les nuages.

Donc, j’ai trop fait gémir les roseaux et les vents ;
Eh bien ! tirons un cri de l’âme des vivants :
Le clairon va sonner autour des beaux exemples ;
Je viens brandir le fouet sur le parvis des temples,
Et j’accepte, à cette heure où toute lèvre ment,
Les hasards que l’on court à parler fièrement.

Il écrivait cela en 1861 ; en novembre, après avoir roulé insensiblement sur la pente, il ne se sentit plus maître de son Pégase et se laissa aller jusqu’à rimer la satire sur les Muses d’État. On y lisait des vers comme ceux-ci :