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petits mémoires littéraires

est tout. La guerre étrangère, c’est une écorchure qu’on a au coude ; la guerre civile, c’est l’ulcère qui vous mange le foie. »

Voici ce que dit Marat-Hugo :

— « Je suis l’œil énorme du peuple, et du fond de ma cave, je regarde. »

Voici comment s’exprime Danton-Hugo :

« Je suis comme l’Océan ; j’ai mon flux et mon reflux ; à mer basse on voit mes bas-fonds, à mer haute on voit mes flots. »

Il a été beaucoup écrit sur Victor Hugo. On a plusieurs fois essayé de donner la mesure de son génie ; mais l’heure de l’impartialité absolue n’est pas encore venue. Ce que j’ai lu de plus satisfaisant dans le succinct vient d’un écrivain très raffiné, très aigu, de Charles Baudelaire. Dans ses Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, il a essayé d’analyser l’atmosphère morale de cette œuvre abondante et complexe, atmosphère qui lui parait participer très sensiblement du tempérament propre de l’auteur.

« Elle me parait, dit-il, porter un caractère très manifeste d’amour égal pour ce qui est très fort comme pour ce qui est très faible, et l’attraction exercée sur le poète par ces deux extrêmes dérive d’une source unique, qui est la force même, la vigueur originelle dont il est doué. La force l’enchante et l’enivre ; il va vers elle comme vers une parente : attraction fraternelle. Ainsi est-il irrésistiblement emporté vers tout symbole de l’infini, la mer, le ciel ; vers tous les représentants anciens de la force, géants homériques ou bibliques, paladins, chevaliers ; vers les bêtes énormes et redoutables. Il caresse en se jouant ce qui ferait peur à des mains débiles ; il se meut dans l’immense, sans vertige. En revanche, le poète se montre toujours