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petits mémoires littéraires

qui égale le tableau de la retraite de Russie. Qui ne sait par cœur ces vers prodigieux :

Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l’offensive et presque la victoire :
Il tenait Wellington acculé sur un bois.
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, etfroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit : Grouchy !… C’était Blücher.
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme.
La mêlée, en hurlant, grandit comme une flamme.
La batterie anglaise écrasa nos carrés.
La plaine où frissonnaient les drapeaux déchirés
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on égorge,
Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge.

La pièce va crescendo jusqu’à ce qu’elle aboutisse à ce vers devenu légendaire :

La garde impériale entra dans la fournaise.

Pour trouver quelque chose de comparable à cela, il faut remonter jusqu’à Virgile et au deuxième livre de l’Énéide, retraçant la prise et le sac de Troie.

III

L’auteur dramatique a jeté huit grands drames à la foule, tous les huit profondément saturés de poésie. Leurs fortunes ont été diverses, mais leur influence a été considérable. Le champ tragique en a été bouleversé de fond en comble ; l’art du théâtre en a été complètement remanié. Là, comme partout, M. Victor Hugo a fait jouer la sape et il est monté au succès comme on monte à l’assaut.

Il a eu moins d’efforts à faire dans le roman, où d’importants progrès avaient été réalisés avant lui.