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petits mémoires littéraires

Ici peut-être devrait se borner ma tâche. Mais il est des sujets qu’on n’effleure pas sans une irrévérence marquée. M. Victor Hugo est du nombre. On peut l’éviter, on n’a pas le droit de le coudoyer. Dès qu’on se prend à l’examiner en face, on se sent arrêté. C’est dire que quelques pages me sont encore nécessaires.

Victor Hugo a subi longtemps la révolte et la négation. Personne n’a été discuté avec plus de passion que lui : ni Corneille, ni Gluck, ni Eugène Delacroix. On s’est armé contre ses vers, on s’est soulevé contre sa prose. On a épuisé contre lui le vocabulaire des invectives, Viennet sur Vadé. On l’a traité de vandale, de brigand, de welche, d’ilote, de fléau, d’iconoclaste, de fou, de sauvage. On l’a comparé à Lucain, à Dubartas, à l’abbé de Saint-Louis, à Scarron, à Gongora. On l’a trouvé absurde, ridicule, rocailleux, tortueux, trivial, excessif, convulsif, ampoulé, emphatique. On l’a bafoué, parodié, chansonné, caricaturé[1].

  1. Pourquoi ne nous égayerions-nous pas un peu maintenant au sujet des critiques furibondes et écumantes que déchaînèrent les premières œuvres de Victor Hugo ? Pourquoi, entre cent autres, ne rappellerions-nous pas la Conversion d’un romantique, par M. Jay, un pamphlet en un gros volume in-octavo de 431 pages. (Paris, 1830, chez Moutardier, rue Gît-le-Cœur), où se trahissent les mortelles angoisses des derniers et insuffisants représentants de la tradition classique ? M. Jay (qui est-ce qui a jamais su ce que c’était que M. Jay, et ce qu’avait écrit M. Jay ?) a découvert, entre autres belles choses, que Hernani était entièrement pillé d’un poème anglais intitulé : Henry et Emma. Mais en cette occasion, il faut citer, pour laisser au rire une plus libre place :
    « Je n’hésite plus maintenant à le déclarer : Hernani et les pièces qui lui ressemblent ne sont que des mélodrames beaucoup moins intéressants que ceux qui se jouent sur les boulevards ; ils auront la même destinée : la foule y viendra, comme s’il s’agissait de voir un monstre, un jeu capricieux de la nature, tel, par