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petits mémoires littéraires

Il est inulile de rappeler ce que put lui répondre Jean-Pons Viennet, qui était, comme nul n’en ignore, une des médiocrités de l’Académie.

Chaque fois que M. Thiers est rentré dans la vie privée, soit de bonne grâce, soit autrement, il s’est rappelé ses promesses envers l’Académie. De ces haltes Miheureuses est née l’Histoire du Consulat et de l’Empire, — une épopée selon ceux-ci, un procès-verbal selon ceux-là ; ni l’un ni l’autre, à mon humble avis ; mais de l’histoire comme beaucoup l’aiment, rapide et limpide, débarrassée de notes et de documents, usuelle, (mot horrible !) écrite dans la manière parlée de l’auteur. Les larges traits à la Tacite en sont absents, mais par intervalles une bataille s’enlève avec prestesse. Dans le premier volume un épisode charmant est celui du passage du Saint-Bernard entrepris par Bonaparte, qui était simplement escorté de Duroc et de Bourrienne. On me saura gré de le citer entièrement :

« Il gravit le Saint-Bernard, monté sur un mulet, revêtu de cette enveloppe[1] grise qu’il a toujours portée, conduit par un guide du pays, montrant dans les passages difficiles la distraction d’un esprit occupé ailleurs, entretenant les officiers répandus sur la route ; et puis, par intervalles, interrogeant le conducteur qui l’accompagnait, se faisant conter sa vie, ses plaisirs, ses peines, comme un voyageur oisif qui n’a pas mieux à faire. Ce conducteur, qui était tout jeune, lui exposa naïvement les particularités de son obscure existence, et surtout le chagrin qu’il éprouvait de ne pouvoir, faute d’un peu d’aisance, épouser l’une

  1. Redingote ne paraît pas sans doute assez noble à l’historien, qui se souvient toujours de Clio.