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petits mémoires littéraires

le goût de la poésie, à laquelle il était resté étranger jusque-là.

En dépit de ces petits travers, c’était un bon garçon, franc et obligeant. On n’a pu lui reprocher que d’être légèrement raseur. Mais est-ce un crime ?

À l’époque du siège de Paris, on lui donna un grade dans la garde nationale. Je le rencontrai un jour, triste et maigri ; c’était à ce moment de disette extrême où la population manquait de tout, même de pain.

— Ah ! mon pauvre Gaston, est-ce vous ?

— Vous le voyez, dit-il en serrant d’un cran son pantalon.

— Il y a un tour aujourd’hui que vous ne pourriez pas faire, continuai-je en souriant mélancoliquement.

— Il est bien question de tours, ma foi ?… Et pourtant, je vous ferais encore tous ceux que vous voudriez.

— Non, non.

— Mais si ! s’écria-t-il en se révoltant.

— Eh bien !… faites-moi une omelette dans un chapeau.

Il avait gardé, à travers tous ses voyages, la marque parisienne. En vertu de la loi des semblables, il s’était lié avec Timothée Trimm, une autre physionomie de ce temps-là. C’était un spectacle curieux de les voir tous deux, dans une voiture de louage découverte, cheminer vers le bois de Boulogne. L’un, Timothée Trimm, enguirlandé d’une vaste chaîne d’or, avec des pantalons démesurément larges, le cigare aux lèvres, renversé tout entier sur les coussins, le regard perdu, dédaigneux de la rumeur de popularité qu’il soulevait sur son passage…

L’autre, le vicomte Alfred de Gaston, coiffé d’un