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tendit encore plusieurs fois ce cri désespéré de Gil-Pérès qu’on emportait :

— Je ne peux pas !… Je ne peux pas !

Depuis lors, ce fut bien fini.

Il ne sortit presque plus de son appartement. Sa conversation se fit de plus en plus incohérente. On le vit pleurer un soir au café des Bouffes Parisiens…


Gil-Pérès avait été atteint autrefois, à vingt-un ans, d’une très grave fluxion de poitrine. Sa vie avait été en danger. Il demeurait alors sur le boulevard du Temple, dans la maison de M. Mourier, le directeur des Folies-Dramatiques.

Six de ses amis résolurent de le veiller à tour de rôle.

Une nuit, ce fut le tour de Deloris, un comédien d’une stature colossale, qu’on peut se souvenir d’avoir vu un instant au Théâtre-Français, et qui est mort, il y a quelques années, marchand de tableaux, à la Chaussée-d’Antin.

Deloris se rendit avec empressement, à l’heure exacte, au chevet de Gil-Pérès, qui le reconnut et le salua du sourire décoloré des malades. La veilleuse était sur la table de nuit. Le rôle de Deloris était bien simple : il n’avait qu’à donner d’heure en heure une tasse de tisane à Gil-Pérès.

Malheureusement, Deloris, qui était un excellent homme, portait la peine de son embonpoint : il était gourmand et dormeur. On lui avait préparé un ambigu, un en-cas. Il commença par manger l’en-cas, et quand il l’eut mangé, il s’endormit dans son fauteuil.