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petits mémoires littéraires

Les deux seules fois que je dinai chez Théodore Barrière, Coco resta sur son perchoir.


Théophile Gautier est un des hommes de lettres que j’ai le plus désiré voir, lors de mon arrivée à Paris. J’avais dévoré tous ses livres en province, et il m’apparaissait comme la plus parfaite incarnation du romantisme.

À mon admiration si légitime pour l’écrivain se joignait une vive curiosité pour l’homme, — curiosité surexcitée, entretenue par des portraits et des récits étranges. Je savais que l’auteur de Fortunio portait des cheveux excessivement longs, qu’il s’habillait d’étoffes voyantes, destinées à épouvanter les bourgeois. Les jeunes gens se laissent prendre à ces jeux.

Je ne tardai pas à me faire présenter, et sa vue ne détruisit pas l’image que je m’étais créée du sectaire d’Hernani, du spectateur au pourpoint cerise légendaire. Il était dans toute la force et dans tout l’éclat de sa trente-sixième année ; sa myopie et son chapeau constamment fixé sur la tête contribuaient à lui donner un certain air de hauteur, auquel des étrangers ont pu se tromper. La vérité est qu’il m’accueillit avec une parfaite indifférence, — ce que je comprends bien.

Ce ne fut qu’au bout de quelques mois que, s’accoutumant à me voir dans les bureaux de rédaction de journaux, il me fit l’honneur de m’admettre insensiblement à son intimité. En ce temps-là, il avait le tutoiement très facile ; je pus le croire mon ami, — mais à coup sûr j’étais devenu le sien, et pour toujours.