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de Saint-Émilion, ce jour-là sa verve fut doublée. On sentait qu’il jouait pour lui.

Il était assez tard lorsque nous quittâmes le Moulin-Rouge. La nuit était magnifique ; les rayons de la lune nous baignaient de lueurs blanchâtres.

Gil-Pérès bondissait comme un jeune chevreau.

Arrivés à la place Dauphine :

— Entrons à la brasserie de Saint-Léger, dit Courdier.

Saint-Léger était et est encore un acteur de drame qui se délasse de ses succès en vendant de la bière. — Je croyais qu’on ne s’appelait plus Saint-Léger depuis longtemps, pas plus que Floricour ou Belval. — Je suivis mes compagnons avec curiosité.

Au physique, Saint-Léger est un homme aux épais sourcils, à la rude moustache ; l’ensemble de sa physionomie rappelle un peu Jenneval. Comme Jenneval, il joue d’une façon intermittente, sans engagement régulier, tantôt ici et tantôt là. On le demande quelquefois à Agen ou même à Toulouse pour créer un rôle, — et il ne refuse pas, de temps en temps, de donner un coup de main à son voisin le Théâtre-Français de Bordeaux, lorsque celui-ci a besoin, pour ses représentations du dimanche, d’un bon Judaël dans Lazare le Pâtre, ou d’un excellent John dans le Sonneur de Saint-Paul.

L’accueil que nous fit Saint-Léger fut plein de dignité et d’affabilité. Il nous servit de sa bière la meilleure et ne dédaigna pas de s’asseoir à notre table, — où la conversation fut continuée par Gil-Pérès sur un ton d’enjouement qui devait s’accentuer déplus en plus.

À cette époque déjà, la gaieté du spirituel comique commençait à être faite de beaucoup de choses fan-