Se représente-t-on, en effet, ce petit être grandissant, — en même temps que grandit à côté de lui, sans cesse présente, l’image de son père le suicidé ?
Combien de fois il a dû mettre ses mains sur ses yeux comme pour fuir cette obsession ! Que de cris il a dû pousser pour se débarrasser de ce cauchemar persistant.
Oublier, se consoler, cela lui eût été possible peut-être avec un père obscur, avec le premier pauvre homme venu.
Mais Prévost-Paradol ! Prévost-Paradol l’académicien ! Prévost-Paradol l’homme d’esprit ! (Voilà donc où conduit l’esprit !) — Impossible de ne pas rencontrer ce nom à chaque pas, à chaque détour de l’histoire contemporaine, dans chaque livre, dans chaque mémoire ! Toute la jeune génération connaissait Prévost-Paradol.
Aussi, lorsque ce pauvre jeune homme était forcé de se nommer, comprenez-vous ce supplice ? Voyez-vous les regards se fixer sur lui avec une étrange expression de curiosité et de compassion ? « Eh quoi ! semblait-on lui dire, vous seriez le fils de cet infortuné qui n’a pas eu de courage pour accomplir son devoir, pour vous consacrer sa vie, pour veiller sur voire berceau ? Ah ! comme nous vous plaignons, et quelle mélancolie vous devez traîner après vous ! »
C’était plus que de la mélancolie, hélas ! c’était une idée fixe. L’idée du suicide !
Le père l’avait déposée dans l’esprit de l’enfant, et l’enfant s’était insensiblement habitué à elle.
Il avait voulu comprendre la détermination de son père, et il avait fini par croire qu’il l’avait comprise. Il s’était dit : « Mon père était une haute intelligence, une