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vaudraient cette éloquence farouche, cette phrase brève et sans adjectifs, ces détails familiers qui donnent le frisson ?

L’horreur dans la simplicité ne saurait être poussée plus loin. Il n’est pas d’agonie célèbre qui soit comparable à celle de ce pauvre homme dans sa chambre chauffée par le reste de dix-neuf sous de charbon, vaquant à ses lugubres préparatifs, écrivant à tout son monde, sortant, rentrant, essayant ses petits morceaux de bois, s’arrêtant quelquefois, mais n’hésitant jamais.

Ici, l’homme de lettres s’efface absolument pour faire place à l’homme. Pas la moindre trace de pose. Rien que le tableau d’un individu tragiquement acculé dans la mort par la fatalité. Un acte de soumission à la Divinité, un regret à la famille, — et puis, comme mot de la fin : « Je mets ma tabatière dans le tiroir de mon petit bureau. »

Je pense quelquefois à la tabatière de Bourg-Saint-Edme.


Léon Lava était un honnête homme et un honnête littérateur. Il aimait son art et le pratiquait avec conscience. Souvent il s’était senti attristé par les feuilletons de la jeune critique ; elle lui reprochait de n’être plus de son temps, d’employer une phraséologie surannée. En vain se savait-il le public pour lui ; ce qui peut contenter les auteurs vulgaires, accoutumés à voir dans le chiffre de la recette le niveau de l’intelligence humaine, ne le contentait pas, lui. Il aurait voulu pouvoir satisfaire tout le monde et son père.

C’est ce louable sentiment qui l’a fait sortir un jour