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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

Mercier. « Pourquoi êtes-vous juste ? lui demandait-il dans cette lettre. — Parce que j’ai une conscience, répondit Mercier, parce que je vous ai lu et que je sais lire. Mes confrères ne savent pas tous lire, ils lisent en auteurs ; moi, je lis en qualité d’être sensible et qui demande à être remué. Vous m’avez donné des idées que je n’aurais pas eues sans vous : voilà le fondement de mon estime, et de là à l’aveu public il n’y a qu’un pas. »

Rétif de la Bretonne et Sébastien Mercier avaient été pétris du même limon littéraire : il suffit de lire une page de l’un et de l’autre pour en être convaincu.

Si Rétif de la Bretonne fut un Diogène, Mercier fut un Érostrate. Il pénétra, au grand jour, la torche à la main, dans ce que nous appelons notre Temple de mémoire ; il renversa les bustes couronnés, gratta les inscriptions, jeta au feu les livres sacrés : on fut stupéfait de cet acte téméraire ; mais, comme les crimes de lèse-talent n’ont pas de juridiction, notre tueur de poëtes demeura impuni. « Je le ferais encore ! » s’écriait-il après son forfait, impassible comme Polyeucte. L’impression était obtenue, le coup avait porté : Mercier n’en demandait pas davantage pour le moment. Le chêne classique avait reçu sa première entaille ; d’autres devaient venir plus tard qui chercheraient à l’abattre[1].

Sébastien Mercier laissa donc son siècle lever les épaules. Il avait une confiance imperturbable dans la postérité ; il ajournait ses lecteurs et donnait rendez--

  1. Mercier écrivait, le 10 août 1806, à M. Joseph Pain : « Fais comme tu voudras. On a été rechercher les règles dans l’art, tandis qu’elles sont hors de l’art. »