Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

des honnêtes gens m’étaient acquises en compensation des sifflets des mauvais jugeurs ! »

Le neveu de Rameau l’avait écouté en silence ; sa bavaroise allait être finie. Tout à coup Mercier, tirant sa montre de son gousset : « Onze heures, s’écria-t-il. — Où allez-vous ? — À la loterie générale de France. — Bah ! — Oui, murmura Mercier, d’un air moitié embarrassé, moitié souriant ; je viens d’en être nommé contrôleur général. — Quoi ! après en avoir autrefois si vivement combattu le rétablissement dans votre Tableau de Paris ? — Et depuis quand n’est-il plus permis de vivre aux dépens de l’ennemi ? » répondit notre dramaturge avec une certaine emphase comique.

Tous deux se levèrent. Le musicien regrettait de quitter un endroit où il se trouvait si bien. « À votre tour, lui demanda Sébastien Mercier, où allez-vous ? — Ma foi ! dit le neveu de Rameau, il n’y a guère plus rien à faire pour moi dans ce monde nouveau ; et puis, vous m’avez effrayé avec votre Révolution ; je crains qu’elle recommence un jour ou l’autre. Adieu, je m’en vais mourir. »

IV

Peu de temps après cet entretien, Mercier livra au public le Nouveau Paris. Cet ouvrage tant calomnié des biographes qui ne l’ont pas lu, qualifié par eux d’œuvre du cynisme et du sans-culottisme, est peut-être la production la plus admirable, la plus curieuse, la plus énergique qui soit sortie de sa plume, celle qui