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LINGUET.

« Vous avez raison de ne point m’inviter à me présenter devant vous, car vous ne soutiendriez pas aisément les regards d’un honnête homme. Vous ressemblez à l’âne de la fable, qui croit faire peur parce qu’il sait braire. Il me semble que je mets votre valeur à de terribles épreuves. Je suis visible tous les matins ; arrivez, votre chevalerie sera la bienvenue, et je vous donnerai un petit essai de la mienne. Eh bien, monsieur le coquin, êtes-vous content ? Je suis de meilleure composition que vous, car je vous permets de vous présenter devant moi, et soyez sûr que cela se passera le mieux du monde.

« Il me fait rire, ce pauvre Linguet, avec son honneur ! D’où diable tombe-t-il ? N’importe, il faut voir ce que c’est que cet homme-là, il doit être curieux. À demain, mon gentilhomme. Pour vous réconforter, je vous préparerai une tasse de chocolat. Quant à mes billets doux, s’ils peuvent être de quelque utilité pour votre réputation chevaleresque, vous pouvez les montrer ; si vous voulez même, j’en donnerai les copies. Je dicte à mon secrétaire, qui sera bien aise de vous connaître ; il aime les gens de cœur, et vous voyez que je ne néglige pas une seule occasion de vous ménager des suffrages. »

En vérité, les dieux d’Homère, qui cependant sont assez forts en bouche, ne se disputent pas en termes plus vifs. Il n’y eut du reste dans cette affaire que de l’encre de répandue. Ce fut Dorat qui, malgré sa jactance, désavoua son accusation dans une lettre insérée au Journal de politique et de littérature. Lui-même annonça confidentiellement au lieutenant de police que la paix était signée : « Mille fois pardon, monsieur, si je vous ai importuné pour ma malheu-