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LA MORENCY.

des chambres maritales, et, tristesse pour tristesse, Suzanne se surprit peut-être à regretter l’intérieur de son ménage de Soissons. Sur ces entrefaites, son amant fut, lui aussi, chargé d’une mission ; il partit, la laissant seule à Paris, sans autres ressources que sa figure agaçante et son esprit lutin, dans un temps où la galanterie française était toute réfugiée aux frontières.

Quinette parti, elle se retourna vers Quillet ; mais Quillet avait perdu toute sa belle humeur d’autrefois : il n’allait plus jouer de la flûte au bord des fontaines. Le pauvre homme, navré de sa déconfiture électorale et de l’abandon de sa femme, noyait dans le vin sa politique et son amour. Il répondit laconiquement à Suzanne qui lui avait écrit une lettre pathétique : « Puisque vous êtes à Paris, restez-y. » Et il retourna boire.

Dans son premier dépit, Suzanne composa de verve une espèce de pétition tendant à faire décréter le divorce, et elle l’adressa à l’Assemblée, où le président en fit lecture, aux applaudissements unanimes. Cette pétition, signée seulement : Une amie zélée de la liberté, se terminait par ce post-scriptum : « Mille femmes ont la même sollicitation à vous faire, la timidité les arrête ; moi, je la brave par l’incognito que je garde dans ce moment. Mais lorsque par vous je serai heureuse, j’irai vous faire mes remerciements ; la reconnaissance est toujours l’apanage d’un jeune cœur sensible ! »

Il lui restait à peine dix-huit louis ; avec cela on ne va pas au bout du monde ; Suzanne se contenta d’aller en Belgique. Eut-elle aussi une mission ? C’est ce que j’ignore. Trois chevaux de poste attelés à un