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OUBLIÉS ET LES DÉDAIGNÉS.

voyez-vous pas que votre traversée sera éternelle, et que les vivres manqueront ? Quand vous en serez là, vous gémirez d’être demeurés dans une confiance passive, tandis que vos talents pouvaient prévenir ce malheur. Allons ! sortez de cette dangereuse inertie, exigez que toutes les voiles soient déployées : ou plutôt emparez-vous de la manœuvre, et montrez à ces vieux marins, esclaves de leur ancienne routine, qu’avec de l’activité et de l’énergie on a déjà surmonté les obstacles, lorsque le froid et lent calcul doute encore qu’on puisse les éluder ! »

Ces paroles perfides ne manquent pas de produire leur effet ; chacun s’empresse d’entourer le pilote et regarde comme un devoir de donner des ordres aux matelots. On juge de la confusion. Madame Jer’nifle court de l’un à l’autre, employant sa rhétorique pour les remettre tous à leur place ; mais Adule les a ensorcelés, ils n’entendent plus rien. Une tempête vient s’ajouter au brouhaha général. De toutes parts et à la fois, on entend crier : « Carguez cette voile ! — Fermez les sabords ! — Jetez les ancres ! — À bas la mâture ! »

Ici, mons Gorjy, oubliant ses habitudes, a dévoilé un pan de sa mystérieuse individualité et intercalé un épisode entièrement personnel. C’est une fortune trop rare pour que nous ne citions pas le texte : « Dans un coin du vaisseau, il y avait un jeune homme écrivant aussi paisiblement que si le navire eût été dans le port. Vous dire ce qu’il écrivait, je ne le sais guère : on n’apercevait que le titre : Lidorie. Au milieu de la tempête, i’Ann’quin bredouille, assourdi par le tapage, fatigué, glacé de frayeur, fut surpris de la tranquillité du jeune auteur, et il ne