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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

connus pas pour mes voisins habituels ; néanmoins, je n’en pris aucune inquiétude. Tancrède commença ; je laissai passer les premières scènes. Vers la fin du premier acte seulement, je me mis en mesure de prodiguer les exclamations, les murmures, les haut-le-corps, les mouvements d’impatience ; mais aux premiers symptômes d’hostilité que je laissai percer, mes deux voisins se rapprochèrent tellement de moi, qu’ils faillirent m’étouffer.

— Holà ! dis-je à celui de gauche.

— Mordieu ! dis-je à celui de droite.

Ils se reculèrent un peu, et je respirai. La pièce tenait tout le public dans l’attention, lorsque, à un vers qui me parut marqué au coin de l’emphase, je laissai échapper un oh ! oh ! dérisoire, et qui fit rumeur. Au même instant je me sentis broyé entre mes deux murailles vivantes ; et des paix là ! paix donc ! partis du milieu du parterre ne permirent pas à ma voix de se faire entendre. Je me contentai de rouler des yeux furibonds sur ces deux hommes, qui demeurèrent impassibles et silencieux, le regard attaché sur la scène avec cette expression des gens qui n’ont point coutume de venir à la comédie. Ce que voyant, je haussai les épaules et je fus dégagé.

Le premier acte s’acheva. Au second, j’étais bien décidé à protester vigoureusement contre Tancrède et contre Aménaïde, représentée par la Clairon ; mais au moment où j’approchais mon sifflet de mes lèvres, le voisin de droite me saisit le bras avec une telle violence que le sifflet tomba par terre.

— Chut ! me dit-il.

Pour le coup, je me démenai de toutes mes forces,