Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

reconnaissance m’eût enchaîné aux comédiens, et la prudence m’eût fait ménager les auteurs, mes collègues ; — tandis que mes chutes m’exaspérèrent et détruisirent en moi jusqu’aux derniers principes de la plus simple justice. Je rendis passion pour passion ; je fus cruel envers les autres comme on l’avait été à mon égard. Chassé de ce temple, dont le séjour avait été le rêve de toute ma vie, je me montrai sans pitié pour ceux qui, plus heureux que moi, en franchissaient sans effort les portes d’airain. Je n’étais que chef de cabale, je me fis pamphlétaire. Lorsque je n’avais pas bien tué une pièce avec le sifflet, je l’achevais avec la plume ; un auteur ne s’échappait jamais de mes mains que bafoué et meurtri.

Toutes les œuvres principales ont été marquées par mes brochures ; c’étaient tantôt de Très-humbles remontrances à la cohue au sujet de Denis le Tyran (la cohue ! ainsi exprimais-je mon mépris pour le public) ; tantôt des Observations sur le Duc de Foix, de Voltaire ; des Lettres sur les Héraclides, de Marmontel ; des Réflexions sur Électre, de Crébillon ; sur Oreste, sur l’Orphelin de la Chine, — sur quoi encore ? Il y aurait un énorme volume à composer de toutes ces satires, de toutes ces analyses, de toutes ces dissertations, de toute cette rancune manifeste et ardente, où souvent éclatent, à travers un parti pris de dénigrement, un sens littéraire très-sain et très-fin, des aperçus nouveaux et l’autorité d’une expérience douloureusement acquise. La haine est quelquefois un bon éperon pour la raison ; et les yeux courroucés sont ceux qui courent après la grande lumière, si aveuglante qu’elle soit.

Ah ! j’étais actif, j’étais fort, je vivais en guerre et