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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

créanciers qu’il avait dans cette ville se trouvait un tailleur. Celui-ci le rencontre, l’aborde, lui demande sa dette. Le chevalier de La Morlière le regarde d’un air imposant, exprime une feinte indignation et baragouine des paroles allemandes. Cet air, cette colère, ce jargon étranger, intimident le pauvre tailleur : il croit qu’il s’est trompé, se confond en excuses, et s’en va. »

Eh bien ?

Que fais-je de plus que don Juan, que Moncade, que tous les hommes d’esprit sans argent ? En vérité, la pudeur du dix-huitième siècle me fait rire !

Mais il est entendu que je suis le bouc émissaire de cette époque. Je dois en prendre mon parti.

Dans la foule de mes créanciers, il en est pourtant, — j’en pourrais citer jusqu’à trois, — qui n’ont eu qu’à se louer de la grandeur de mes procédés. Au nombre de ces gens-là, rangeons un marchand de la rue des Bourdonnais, envers qui je m’acquittai d’une façon tout à fait ingénieuse. Comme le trait est peu connu, je vous le raconterai ; mais ce sera le dernier de ce genre.

J’aimais, ou plutôt j’étais aimé de la maréchale de ***, qui passait avec raison pour une femme aussi avare que galante. En effet, elle n’avait d’yeux que pour son cher chevalier de La Morlière, mais elle le laissait volontiers aussi délabré qu’un musicien ; sa passion dédaignait de descendre à de misérables détails d’existence ; elle ne regardait qu’à la figure, point du tout au costume ; néanmoins, je souffrais pour elle-même de l’infériorité de ma situation actuelle, et ma vanité révoltée s’avisa d’un stratagème.