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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

eût été pourvu de quelques bénéfices par-dessus le marché ; mais le ciel lui avait refusé cette douceur. Pour y suppléer autant que possible, il donna des leçons et professa les humanités : Augustin Robespierre fut un de ses élèves ; il courut la province de collége en collége, et un peu aussi de boudoir en boudoir, composant déjà des comédies qu’il faisait représenter sous l’anonyme.

En ce temps-là, c’était la grande fureur du pèlerinage à Ferney : tout le dix-huitième siècle passait par l’antichambre de Voltaire ; Beffroy de Reigny fit comme tout le dix-huitième siècle. Le patriarche de la littérature, qui ne craignait pas de compromettre le caractère auguste du talent et la dignité philosophique de la vieillesse en rendant adulation pour adulation, l’accueillit les bras ouverts, semblable à ces gens qui, après une fraternelle accolade, s’écrient : « Eh ! bonjour, mon cher ami… comment te nommes-tu ? » En faveur de sa grande jeunesse, Beffroy de Reigny fut admis à l’honneur insigne de lire un petit poëme de sa composition. Voltaire eut deux ou trois sourires de complaisance pour cette bluette, et appuya sur ce qu’il fallait donner au public ce joli colifichet. Ce fait décida en partie la vocation de l’abbé de Reigny. Voltaire en a égaré de plus candides !

À cette époque, notre héros, qui menait la vie errante du chevalier de Boufflers, fut amené assez singulièrement à adopter le pseudonyme sous lequel il est connu et classé en littérature. Il se promenait, avec quelques dames évaporées, dans un village des environs de Tournay ; la conversation roulait sur les noms de guerre que prennent certains auteurs : à