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Et puis, il faut dire aussi que l’éditeur manifestait pour Marianne des vigilances de duègne ; cela se concevra sans effort. Il avait commis à sa garde une de ses parentes à lui, très malheureuse du côté de la fortune, et qui n’avait par conséquent tout intérêt à le bien servir. Cette dame conduisait Marianne au Conservatoire et l’en ramenait régulièrement ; le reste de la journée, pendant ses études, elle restait à côté du piano, occupée à coudre.

Cela n’empêcha pas que, le premier jour où cette personne fut retenue au logis par un violent rhumatisme, Marianne ne fît la rencontre d’Irénée de Trémeleu.

Irénée était, nous l’avons déjà dit, jeune, riche et oisif. Il entreprit d’éveiller le cœur de Marianne, et il y réussit. Les moyens qu’il employa sont vieux comme les mondes. Il écrivit, il parla. Sur ces entrefaites, les rhumatismes de la dame augmentèrent. Irénée ne croyait d’abord qu’à une amourette ; mais, peu à peu, la candeur de Marianne, son intelligence croissante, la puissance de son exaltation en matière d’art, tout cela opéra tellement sur son imagination que ce qui n’ait été qu’une fantaisie ne tarda pas à prendre les proportions d’une passion véritable. De son côté, Marianne aima Irénée, mais comme on aime pour la première fois, c’est-à-dire timidement, avec plus de curiosité que d’ardeur. Leur liaison fut pure.

À dix-sept ans, Marianne Rupert, qui ne s’était produite que dans des concerts, où son succès avait été considérable, revêtit pour la première fois la pourpre des prima donna et parut sur le Théâtre-Italien. « Tout Paris était là », selon l’expression accoutumée des gazettes, et Dieu sait si ce tout Paris est fait pour donner le vertige ! En présence de ces habits noirs et de ces robes blanches, vis-à-vis de ces épaules écrasées de diamants, de ces cheveux semés d’étincelles, de ces bras nus reposant sur le velours des loges, devant le silence et devant cette flamme, sous l’obsession de ces grosses lorgnettes jumelles qui ressemblent à des canons, l’enfant de la rue du