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le monde parisien. Le scandale fut immense. La figure bilieuse et méchamment souriante du marquis tranchait sur un costume du meilleur goût, et qu’il portait, malgré sa laideur, avec une distinction innée. À son bras, Ébène promenait des regards ravis. Elle avait une robe de satin blanc, au-dessus de laquelle sa tête vive apparaissait comme une taupe dans la neige. Un collier de graines rouges serrait son cou d’un modelé pur et puissant. Elle avait toutes les peines du monde à s’empêcher de faire la révérence aux femmes et de sourire aux hommes. Bagues, bracelets, pendants d’oreilles, broches, agrafes, tout cela courait et brillait sur cette peau comme des étincelles sur un papier brûlé. Il semblait qu’on eût vidé sur elle désordonnément une boutique de bijouterie. Ils avançaient ainsi tous deux, paraissant attendre les félicitations et ne recueillant que la stupeur. Les invités se repliaient en silence devant cette tempête qui marchait. On cherchait des issues. Il y eut quelques jeunes personnes qui s’évanouirent.

Dès le lendemain, ils louèrent un hôtel dans l’avenue d’Anlin ; chaque jour on les voyait sortir en calèche ; chaque soir, aux places les plus découvertes de l’Opéra, ou même des théâtres de boulevard, ils s’offraient de bonne grâce en pâture à l’attention publique, qui, reconnaissante envers eux, leur organisa bientôt une véritable popularité.

La vengeance du marquis de Champ-Lagarde eut les résultats qu’il en avait attendus. Maudit par sa famille qu’il avait vouée au ridicule, anathématisé par la noblesse entière, il trouva un refuge chez les abolitionnistes des États-Unis et de l’Angleterre, qui ne voulurent voir dans son mariage qu’un éclatant hommage rendu à leurs principes. En conséquence, de tous les coins du monde s’élevèrent au profit de ce couple disparate des témoignages de sympathie qui reconstituèrent de nouveau le crédit de Raoul. Plus tard, les Champ-Lagarde eux-mêmes, amenés à composition et réunis par une crainte commune, lui firent proposer une rente secrète de cent mille francs, à la condition qu’il ne perpétuerait pas sa vengeance par couleur de progéniture.

Peu à peu, voici ce qui est arrivé : le marquis Raoul s’est rangé ; l’âge et le changement de milieu ont éteint ses vices.