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les plus froides de l’aristocratie. Elle possédait à un degré exclusif et suprême cette fierté native, rebelle à tout raisonnement, et qui trouve sa raison d’être dans cinq ou six types fournis par les annales de l’ancienne noblesse. L’histoire de nos soixante dernières années ne se présentait jamais à son esprit que sous l’image d’un ouragan, et elle ne doutait pas une seule minute du retour de la belle saison politique. Pour être plus sévère, elle n’était cependant pas moins coquette que la marquise de Pressigny, sa sœur ; seulement c’était une variété de coquetterie. Reine de France, elle eût érigé en loi la tradition espagnole qui condamnait à mort les infortunés convaincus d’avoir touché à leur souveraine. Son esprit était continuellement sérieux ; il semblait obéir aux lignes droites et superbes de son visage. Elle avait alors trente-huit ans, et certainement nul ne les lui aurait attribués sans le voisinage de sa fille ; ce témoignage vivant et charmant avait dû même hâter sa retraite du monde ; mais, avec cette autorité de sentiment qu’elle apportait dans toutes ses actions, la comtesse s’était résignée au sacrifice de son resplendissant automne. Sa fortune était, comme sa noblesse, une des plus grandes de la province, où elle possédait, entre Nantes et Angers, des terrains considérables : bois, îles entières, collines, prairies fertilisées par la Loire.

Elle habitait, la plupart du temps, son domaine d’Ingrande, à trois quarts d’heure de la petite ville de ce nom ; elle n’allait à Paris qu’une fois l’an, en hiver, uniquement pour perpétuer ses relations avec le faubourg Saint-Germain, en vue de l’avenir de sa fille. Mais c’était tout au plus si elle y demeurait trois semaines et si elle consentait à se montrer dans quelques bals officiels, tant elle craignait de rencontrer son mari. Il sera si fréquemment parlé du comte d’Ingrande pendant le cours de ce récit, que nous nous croyons dispensés de placer ici son portrait. Qu’il suffise de dire que les deux époux, après une première année de mariage, s’étaient résolus d’un commun accord à suivre chacun de leur côté.

Le comte n’avait fait aucune difficulté pour abandonner à sa femme l’éducation de leur fille Amélie. Où aurait-il rencontré