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— Ne croirait-on pas que vous devez me quitter ma mère ? lui disait quelquefois Anaïs en la regardant fixement.

— Non ; mais il convient que tu sois instruite dans tous les devoirs d’une bonne épouse.

D’autres fois c’étaient ses propres parures, ses bijoux de noces, ses dentelles et ses robes de jadis, que Mme Baliveau allait extraire du fond de ces mystérieuses armoires de province, arches de la famille où dort le souvenir des beaux jours, de la vie, des coquetteries solennelles, des fastes touchants ; tabernacles pieux et qu’on n’ouvre pas sans être attendri. Elle remuait tout cela, et elle venait ensuite répandre sur les genoux de sa fille les colliers aux perles jaunies par le temps, les merveilleuses guipures qui n’ont été portées qu’une fois, les écrins du baptême, les mouchoirs, brodés, tous ces trésors intimes qui gardent jusqu’au doux parfum du passé.

À chacun de ces cadeaux, Mme Baliveau paraissait attendre de sa fille un élan de joie, un mouvement de surprise charmée. Au lieu de cela, Anaïs demeurait muette.

— Hélas, lui dit à la fin Mme Baliveau découragée, tu trouves tout cela indigne de ta beauté et de ta jeunesse, n’est-ce pas ?

— Ô ma mère ! pouvez-vous le penser ?

— Alors, d’où viennent ton silence et ta froideur ?

— Eh bien ! si vous voulez que je vous l’avoue, je crois recueillir votre héritage.

— Quelle singulière pensée tu as là !

— Pourquoi renoncer à ces parures que j’aurais tant de plaisir à vous voir porter encore ?

— Tu te maries ; n’est-ce pas à ton tour de briller ?… Voudrais-tu, avec mon âge et mes cheveux gris, que j’eusse recours à ces sacrifices ?

— Votre âge, ma mère ? Mais tout le monde ici vous trouve aussi jeune que moi.

Mme Baliveau sourit.

— Crois-moi, ma chère Anaïs, dit-elle, le seul bonheur qui m’est réservé à présent, c’est de me voit revivre en toi, et comme femme, et comme mère.

— Ne craignez-vous pas de me voir appartenir à un autre ?