— Giselle ou Norma.
— Essayez de poursuivre pendant un an ou dix-huit mois cette intrigue, qui vous paraissait au début charmante comme un opéra, légère comme un ballet ; et puis, quittez tout à coup l’objet de votre fantaisie…
— Ce n’est pas difficile jusque-là.
— Ne dénouez pas, tranchez…
— Comme Alexandre.
— N’écoutez ni les fureurs ni les larmes, restez froid et brillant comme l’acier de la hache. Puis, ensuite…
— Ah ! voyons !
— Épousez, au bout de quelque temps, une jeune et belle enfant, ignorante de la vie et des haines ; tâchez de vous isoler avec elle dans cette retraite merveilleuse et inaccessible que tout homme rêve pour le milieu de son âge ; dites-vous bien que rien ne vous attache plus aux événements anciens, rien, pas même le souvenir ; endormez-vous dans cette assurance… Ah ! le réveil sera terrible !
— Je connais cela, dit M. Blanchard.
— J’en doute.
— Avec des mots nouveaux, vous venez tout bonnement de me raconter le vieux drame, le vieux roman, le vieux vaudeville intitulé : Femme et maîtresse.
— C’est vrai ; mais que de variantes à cet éternel sujet !
— Oui ; la vengeance d’une femme est le sentiment qui supporte le plus de perfectionnement et de raffinements.
Philippe ressentit un frisson à ces mots.
— Il est donc bien difficile de briser entièrement avec le passé ? dit-il, comme en se parlant à lui-même.
— Cela est même impossible, répondit M. Blanchard.
— Impossible ?
— On ne recommence jamais sa vie ; on la continue.
Un moment de silence suivit ces paroles, pendant lequel M. Blanchard examina à la dérobée la physionomie si expressive de Philippe Beyle. Après une vingtaine de pas, il lui adressa cette phrase, où la