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Ces malices portèrent coup ; la vanité de Mme d’Ingrande saigna sous ces blessures scandaleuses ; mais elle se tut, car elle savait que l’avenir lui préparait maintes revanches. Dans plusieurs transactions financières où le comte invoqua indirectement son concours, elle se montra implacable. Il put se convaincre qu’il n’y avait rien à attendre d’elle.

Au moment où nous essayons de retracer cette physionomie, où les traits du pastel vont s’assombrir désormais, le comte d’Ingrande était entré dans la troisième période du roman de sa vie : la vieillesse. De l’Opéra, creuset magique où il avait fondu plus de deux millions, cet homme aux ardeurs éternelles était descendu aux théâtres du boulevard, les plus petits et les plus lointains, et successivement un peu partout.

Cette existence sans voyage, ce contact quotidien avec le Paris vicieux, fardé, fatigué, surexcité, ne l’avaient encore, à soixante ans, ni abattu ni blasé. Il avait la conscience de ses faiblesses, mêlée à la résolution du malade qui le sait condamné, à l’obstiné délire du joueur, à la capacité épique du gourmand se faisant rapporter au lit de mort un reste d’esturgeon.

Quelquefois, sur les canapés où se roulait sa vieillesse indomptable et fleurie, une réflexion assombrissait son regard, mais elle était vite chassée. Du reste, nul mieux que lui ne savait sauver à force de délicatesse et de savoir-vivre les côtés ridicules de son anacréontisme attardé.

Ce fut sur ce déclin, coupé par de fréquents orages, qu’il rencontra Mlle Pandore. Nous avons tâché d’expliquer cet amour et de le faire comprendre. À l’heure qu’il était, le comte d’Ingrande adorait cette jeune fille plus que jamais, en dépit des nombreux coups de canif donnés par elle à leur contrat sur papier libre, comme on dit en style d’affaires. Au milieu de son amour, cependant, il gardait toujours une inquiétude et un remords. Cette inquiétude datait de son départ pour l’Espagne et de cette lettre mystérieuse, achetée par lui à la femme de chambre de Pandore.