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Ce n’était point une fée nabote et rechignée, à l’œil gris, au nez d’oiseau de proie, à la robe couleur feuille-morte ; c’était, au contraire, une fée souverainement jeune et coquette, habillée à la mode transparente, portant une couronne de cheveux humides de lumière, et, sur ces cheveux une autre couronne où les diamants éperdus se mêlaient aux brins d’herbe et aux fleurs pauvres. C’était la fée du Plaisir, celle qui enchante et qui paralyse, qui enivre et qui tue.

Avec une pareille marraine, que pouvait être la destinée du comte Louis-Henri d’Ingrande ? un roman, comme elle le fut en effet, mais un roman divisé en trois parties bien distinctes. La première, celle qui se passe sous l’Empire, est la plus agrémentée et la plus insouciante ; c’est le roman de la jeunesse. Le comte d’Ingrande, élevé dans l’émigration, était la fleur des pois des salons allemands et anglais, où ses premiers ravages s’exercèrent. Coblentz, Nuremberg et Londres lui décernèrent tout d’une voix l’héritage des Lauraguais et des Fronsac. De dix-huit à trente ans, il fut donc heureux autant qu’on peut l’être, si tant est que le bonheur consiste à voir passer successivement autour de son cou les plus beaux bras féminins de l’Europe.

À la deuxième période, c’est-à-dire à celle de l’âge mûr, se rallièrent les délices raisonnés et les premiers mécomptes. Entré à Paris derrière la voiture des Bourbons, le comte d’Ingrande ne devait plus sortir de cette Capoue infernale ; il se jeta à corps perdu dans les élégances héroïques et les folies rares, interrompues autrefois par la convocation des États généraux ; et si, au dire de Louis VIII lui-même, la fameuse brochure de Chateaubriand sur Bonaparte valut une armée à la cause monarchique, les prouesses galantes du comte d’Ingrande lui valurent certainement une cour entière. Mais comme il ne demandait rien, on ne laissa manger sa fortune ; seulement, quand elle fut mangée ou plutôt dévorée, il se maria.

Un jeu railleur du sort l’unit à une femme austère et dévorée d’ambition. La comtesse d’Ingrande s’était flattée de diriger son mari. Vers les sphères du pouvoir, si éblouissantes d’attraits pour elle, son espoir dut tomber devant la force d’inertie de ce patricien