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n’ai reconnu l’erreur qu’après avoir lu en partie cette signification fourvoyée. Je n’ai voulu confier qu’à moi-même le soin de vous la remettre. La voici.

— Vous me voyez confus de la délicatesse d’un tel procédé.

— Non, cela ne vaut pas de remerciements, car vous étiez exposé à en faire autant à ma place, M. Beyle. C’est moi qui m’estimerai heureux si je dois à notre communauté d’infortune l’occasion de pouvoir vous servir.

— Notre communauté, monsieur le comte ? dit Philippe ; votre politesse va bien loin, ce me semble. Nos situations ne peuvent guère être comparées. Mon modeste avoir a pu disparaître, il est vrai, dans les tourmentes de quelques mauvais jours ; mais votre fortune, monsieur le comte, est trop solidement assise pour avoir à redouter un ouragan passager.

— Vous vous trompez, dit le comte d’Ingrande avec un accent qui trahissait l’amertume plutôt que le regret ; j’ai dissipé des sommes énormes dans ces dernières années. À quelques mille louis près, mes biens sont entièrement engloutis.

Le comte disait vrai ; et cet aveu de sa part nous amène à des explications devenues indispensables.

Avec tous les avantages de la naissance, de la figure, de l’esprit et de la richesse (inappréciables dons qui se trouvent de moins en moins réunis sur la même tête), le comte Louis-Henri d’Ingrande, aimé de la Restauration pour les services rendus par son père et par son grand-père, recherché par Charles X pour ses manières élégantes et son amour de la chasse, redouté de Louis-Philippe comme une des principales têtes d’un parti toujours imposant, le comte d’Ingrande n’avait jamais su ou voulu profiter de sa position sous aucun régime.

Il pouvait arriver à tout ; il ne se mit pas même en chemin. Était-ce philosophie, convictions politiques ou dédain d’une société troublée et peu scrupuleuse ? C’était mieux et c’était pis en même temps : c’était paresse et volupté.

Dans le cortège des fées convoquées à la fête de son berceau, une seule avait été oubliée, et elle était arrivée la dernière pour jeter au nouveau-né sa prédiction funeste et charmante.