— Et… vous souffrez ? dit Marianna avec un accent de curiosité avide.
Philippe la regarda, étonné.
— Non, dit-il brusquement.
— Cependant, depuis deux ans, rien ne vous a réussi ?
— Rien, en effet.
— Depuis deux ans, les événements et les hommes sont ligués contre vous ?
— Oui ; mais qui vous en a instruite… ?
— Je sais tout ce qui vous concerne, Philippe.
Il se leva.
— Eh bien, dit-il en changeant de ton, si vous tenez à jouir de mon abaissement, faites à votre aise, vous avez beau jeu. Regardez : c’est la ruine, c’est le dénuement. Ah ! vous êtes bien vengée, je vous assure : vous ne pouviez désirer mieux, et c’est ce qui s’appelle arriver au bon moment. Achevez ; frappez, je suis à terre ; soyez sans pitié, je suis sans défense.
— Je ne suis pas venue pour insulter à votre infortune.
— Bah ! vous êtes dans votre droit.
— Je ne suis pas venue davantage pour vous rappeler vos torts.
Tout en parlant, elle ne quittait pas Philippe des yeux ; mais ses regards étaient doux, compatissants ; elle suivait chacun de ses gestes, elle se suspendait à chacune de ses syllabes.
— Alors, Marianna, pourquoi donc êtes-vous venue ? demanda-t-il.
— Parce que je vous aime toujours !
Philippe Beyle devint sombre.
— Ah, certes, reprit Marianna tout entière à son élan, vous avez été cruel et terrible pour moi ; vous ne m’avez épargné aucune honte, aucun affront ; vous avez été pire que mon père et que ma marâtre ; personne ne pourrait me faire plus de mal que vous m’en avez fait ; et si la haine se mesurait à l’offense, je devrais épouvantablement vous haïr. Mais…
Elle s’arrêta et le regarda en face :
— Je ne le peux pas ! je ne le peux pas ! s’écria-t-elle désespérément.