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Pandore allumait une seconde cigarette. Un peu embarrassé par ce qu’il voulait lui dire, le comte d’Ingrande la regarda faire pendant quelques minutes. Enfin, il se rapprocha d’elle, et d’une voix rendue craintive par l’émotion :

— Mon enfant, est-ce que je ne suis plus assez riche pour vous ?

— Peut-être, répondit-elle froidement.

— Je vous ai offert maintes fois un logement plus digne de vos goûts et une existence plus digne de vous-même ; pourquoi m’avoir toujours refusé, dans ce cas ?

— Que sais-je ? dit-elle en lançant un filet de fumée.

— Si mince gentillâtre que je sois, je puis cependant encore lutter de faste avec la plupart des tenants du Jockey-Club, et si vous consentiez à me mettre à l’épreuve…

— Quand je vous disais, interrompit Pandore, que votre discours serait calqué sur ceux de tout le monde ! Après la scène de la douleur, la grande scène de la tentation ; mais celle-ci est la plus commune de toutes. Vous allez m’offrir des bijoux, n’est-ce pas ? des dentelles, des cachemires ; et des voitures, qui rimeront avec de riches parures !

— Raillez, ma chère Pandore, raillez à votre aise ; mais, lorsque vous aurez fini, tâchez du moins de vous apercevoir que mon cœur est brisé.

Pandore fronça le sourcil, ce qui était sa manière d’être attendrie.

— Voyons, dit-elle, renoncez à votre affection pour moi. Il le faut ; je ne peux pas vous en dire davantage, mais il le faut. D’ailleurs, je ne mérite pas voter estime ; je vous ai toujours trompé, je vous ai rendu ridicule ? Est-ce que j’ai jamais eu une seule bonne parole pour vous, répondez ? Je vous brise le cœur, dites-vous, c’est faiblesse de votre part ; placez mieux votre sensibilité. On peut se sentir écrasé par la mort d’une mère, par la trahison d’une épouse, par l’ingratitude d’un enfant : ce sont des causes, cela ; mais se laisser briser le cœur par la première venue, par une personne rencontrée au Ranelagh ou au bal de l’Opéra ; être vaincu par l’abandon de Mlle Pandore, sans profession, voilà ce qui est inconcevable et indigne d’un