passer la plume à mon père, lui laissant le soin de conter les
menus faits de son existence : Voici, en effet, quelques souvenirs
personnels qu’il s’est plu à évoquer sur ses premières
années d’étude :
« Il m’est resté une impression très vive, très nette de mes années de pension.
» Il me suffit d’évoquer une date de ce temps-là pour voir se dérouler aussitôt toute une série d’événements et toute une galerie d’individus. Je remets des noms sur des visages et des visages sur des noms.
» Des détails infimes se représentent à moi : la casquette de celui-ci, le pantalon de celui-là. — Je revois la haute et longue salle d’études, l’estrade du professeur, le tableau noir, mon pupitre, mon encrier de liège, tailladé de coups de canif, mes cahiers décousus et recroquevillés, mes livres barbouillés de bonshommes à la plume. — J’entends le bourdonnement monotone des leçons apprises la tête entre les mains.
» Et tout cela comme si c’était hier.
» C’est à la pension que la vocation littéraire est venue me trouver, et non pas me surprendre. Cette pension était à Bordeaux, rue de Gourgues, dans l’ancien hôtel du président de ce nom .
» La fenêtre auprès de laquelle mon pupitre était placé, à. un premier étage, donnait sur une vaste cour plantée d’arbres centenaires, — de beaux tilleuls qui secouaient au vent la poudre d’or de leurs fleurs. Entre ces arbres, de distance en distance, des bancs de pierre d’une forme massive et verdis à leur base. Le fond de la cour se relevait en une terrasse, haute de quelques marches seulement et bordée d’un élégant balustre de marbre, mutilé en quelques parties. — Par-dessus les arbres, j’apercevais une large nappe de ciel.
» Que de distractions m’a procurées cette fenêtre, surtout lorsque la chaleur de la saison obligeait à la tenir ouverte !