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SA VIE, SON ŒUVRE

« Au moment d’abandonner ce petit livre à son destin — écrit l’auteur — je ne peux m’empêcher de songer à l’un de mes confrères qui l’aurait écrit bien mieux que moi s’il vivait encore, à Darthenay, l’homme-théâtre par excellence. »

Et voilà encore un ressuscité, qui ne s’attendait guère, celui-là, à cet excès d’honneur.

Son portrait est d’ailleurs tracé d’uue façon fort plaisante en même temps que l’époque où il a vécu :

« … D’où vient que je revois fréquemment cette figure humble et bonne ? Lorsqu’il nous quitta, il y a plusieurs années (quelle vilaine pluie il faisait à son enterrement !), il avait brillé sous la Restauration. Le libraire Ladvocat le considérait, et la Contemporaine lui décochait quelques sourires.

» Darthenay ne vécut que pour le théâtre ; il connut tous les genres, s’assit à toutes les places, fréquenta tous les directeurs : le baron Cès Caupenne, qui portait une douillette, et Antony Béraud, qui portait un habit bleu et des éperons ; Ancelot, qui était de l’Académie, et Bouffé, qui était du Caveau…

» Il fut de tous les triomphes et de toutes les chutes, de toutes les pluies de bouquets et de toutes les averses de pommes cuites. Il vit des pièces plus fabuleuses que les chimères et des auteurs plus extraordinaires que les griffons. Il coudoya René Perrin, Draparnaud, Charles Hubert. Il vécut dans l’intimité d’artistes météores dont il n’est pas plus question aujourd’hui que des solendguses et des garagians, de Victor, qui balança la réputation de Talma, et de Mme Gougibus, qui précéda Mme Dorval. La petite Fonbonne l’appelait « mon bon ami » et il eut l’heur inespéré de recoller au célèbre Edmond son nez impérial, qui était tombé par terre.

» Il vit Hyppolite Bonnelier jouer Orosmane. Il entendit siffler la Nuit vénitienne d’Alfred de Musset à l’Odéon, et applaudir les Badouillards de Siraudin au théâtre de la Porte-