comme eux. La réalité est moins gaie. À part les génies transcendants, au char desquels la fortune domptée vient docilement s’atteler d’elle-même, à part aussi les industriels de basse catégorie qui font du roman à la grosse ou à la toise, sur commande et au goût de la platitude qui les paye, les gens de lettres n’ont pas la vie si aisée. Il n’y a pas longtemps que le métier nourrit vraiment son homme. Et cueore, à l’heure qu’il est, ceux qu’il nourrit bien sont rares. Quelques accidents, maladie, charge de famille imprévue, chômage, c’est la gêne aujourd’hui et peut-être demain la misère… »
Ceci pour en arriver à cela :
Il est certain que Charles Monselet aura été, de l’aveu même de ses contemporains, un des premiers chroniqueurs de son époque, et cela pendant vingt ans au moins, sans avoir jamais pu parvenir à autre chose qu’à gagner modestement sa vie.
« … Et pourtant on se représenterait difficilement aujourd’hui la vogue prodigieuse de Monselet, entre 1860 et la chute de l’empire, dans les heures bienheureuses où Vallès sculptait ses Réfractaires en pleine misère humaine, où Rochefort creusait le fourneau de sa mine, où les de Goncourt risquaient Germinie Lacerteux et brossaient Manette Salomon, où Auguste Villemot imprimait à ses chroniques volantes la grande allure des Mémoires du cardinal de Retz et de Saint-Simon, où Veuillot, le prosateur d’airain, exhalait ses Odeurs de Paris, » — a écrit M. René Maury dans la Revue littéraire de juinjuillet 1888 :
« … Monselet ! le facetteur, le sertisseur de mots par excellence, le suprême arbiter elegantiarum de la plume ! Pas un trait, pas une saillie, pas une anecdote ne portaient, si réussis qu’ils fussent, sans l’estampille ou l’endos de Monselet ; le public ne goûtait que sa marque. « Être classique, » son rêve ininterrompu ! Il l’était dès ce moment, à son insu… »
Or, le Figaro de 1861 — encore bi-hebdomadaire — payait