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CHARLES MONSELET

Il faut des hommes à grosse voix pour se faire entendre aux heures de tapage social, et des écrivains ardents en couleur pour se faire lire. La réflexion serait mal venue alors, car l’action déborde de toutes parts et le fait pèse sur l’analyse…

» Voilà que notre littérature, en moins de soixante ans, a déjà passé par les cribles successifs de trois révolutions. La première, la grande, de 1789, a donné des résultats d’une puissance incontestable et souvent effrayante. D’abord elle a fait descendre quatre à quatre aux écrivains les degrés de l’Encyclopédie, et elle les a logés dans la rue, où, bientôt, ahuris et chétifs, ils sont morts sans postérité. Alors ceux qui se sont levés derrière ont été de bien autres hommes. Littérateurs fauves, on ne sait d’où venus, sans tradition, jouant de la guitare sous la potence ou décrivant avec amour des scènes d’égorgement dans des châteaux, ils ont fait école neuve. Si bien qu’il y a eu pour eux lecture et succès, même aux jours les plus affreux. On s’est intéressé aux massacres sensibles de Ducray-Duminil, et l’on a fait une haute renommée à Pigault-Lebrun pour ses jovialités de mauvaise odeur.

Ceux-là ont parlé au peuple ; seulement ils lui ont mal parlé. Mais la tendance était bonne. Ils ont compris que jusqu’à présenl on n’avait pas pris garde à la plus grande portion du public. De voir des livres qui ont la prétention de s’adresser à tous, écrits comme le Bonheur de M. Helvétius, cela leur a fait lever les épaules, et ils se sont mis à procéder d’autre façon. Malheureusement, ils ont dépassé le but : au lieu d’être simple, leur style a été bas. Ils sont entrés chez le peuple, non par la porte, mais par l’égout.

» Cette littérature grossière de la première révolution a servi du moins à répandre certaines idées vives, qui étaient encore dans l’œuf. De considérables agrandissements ont été faits sur les reliefs de l’imagination : on a abattu des murs,