me nomme ; nous avons échangé des lettres. Il me connaît,
et ne m’a jamais vu. Alors, me trouvant sans doute plus
jeune qu’il ne se l’imaginait, il me dit, levant les bras au
ciel, sous les arbres, après m’avoir regardé avec une sorte
d’attendrissement comique : « — Ah ! jeune homme, jeune
homme, que de copie ! ». Et son geste dessinait bien vite
une sorte de longue traînée de travail où je devinais des
monceaux de feuilles entassées, des articles après des
articles, la pénible et heureuse vie de l’homme de lettres
qui s’épuise au jour le jour, mais qui poursuit ses rêves à
travers la vie comme l’enfant court après des libellules…
Je suis rentré chez moi, rue de Paradis, en me répétant ces
mots effrayés de ce charmant esprit, que j’aime fort :
« — Ah ! jeune homme, que de copie ! » Et ils me revenaient
encore le lendemain, pendant que je songeais à tant
de volumes projetés, tout en « tenant les Livres », de mon
père… »
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J’éprouve quelque mélancolie à recopier aujourd’hui, après trente ans passés, ces lignes extraites d’un vieux cahier de notes qui est comme un herbier à souvenirs, souvenirs desséchés qui reverdiraient vite, sous une goutte d’encre ou sous une larme.
C’était la première fois que je voyais Charles Monselet, que j’allais sincèrement aimer et dont je devais être, un ou deux ans après cette rencontre, le collaborateur. Car nous avons, au Figaro de Villemessant, rédigé ensemble les échos de Paris. C’était alors une des formes de la chronique. M. Aurélien Scholl venait de créer un journal très parisien, le Nain Jaune, et en perdant ce collaborateur, Villemessant perdait son Chamfort. Le chercheur d’hommes qui fonda le Figaro eut l’idée de remplacer les échos de