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règles et des devoirs de la philologie ; personne ne les a mieux pratiqués.

On a pu s’étonner que le même homme qui a voulu qu’on mît sur sa tombe : Veritatem dilexit, se soit si souvent demandé, comme Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? » Mais ces interrogations, mêlées d’ironie, étaient elles-mêmes un hommage rendu à la vérité[1]. Il voyait que, pour la plupart des hommes, aimer la vérité c’est aimer, jusqu’à l’intolérance, jusqu’au fanatisme, des opinions particulières, reçues par tradition ou conçues par l’imagination, toujours dépourvues de preuves et destructives de toute liberté de penser. Affirmer des opinions qu’il ne pouvait prouver lui paraissait un orgueil intolérable, une atteinte à la liberté de l’esprit, un défaut de sincérité envers soi-même et envers les autres ; et il se rendait le témoignage

  1. Il eut dès l’origine ces délicats scrupules de conscience. Il écrivait en 1853 à un ami spiritualiste : « Vous savez que sur les choses divines, je suis un peu hésitant… J’accepte de tous points votre morale ; j’y trouve la plus parfaite expression de ma manière de sentir sur ce point… En général, vous portez dans votre langage métaphysique, plus de détermination que moi ; j’ai un peu moins de confiance dans la compétence du langage humain pour exprimer l’ineffable… En même temps que je désirerais introduire le devenir dans l’être-universel, je sens l’absolue nécessité de lui accorder la conscience permanente. Il y a là un mystère dont je n’entrevois pas la solution. »