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est peut-être celle de Bunyan, qui a su, dans son Voyage du pèlerin, donner à des allégories et à des symboles plus de réalité que n’en a aucun personnage de roman ou d’histoire. C’était un homme sans instruction, un chaudronnier qui n’avait jamais lu que la Bible et qui était enfermé en prison. Michelet a passé son enfance dans une espèce de prison, dans la salle basse et sombre où il faisait son travail de compositeur d’imprimerie. Il n’avait pu nourrir son esprit que de deux ou trois livres, une mythologie, Virgile, l'Imitation de Jésus-Christ. Son imagination prit des ailes : il créa. Une phrase, un mot, prirent pour lui une valeur extraordinaire ; il y trouva des richesses infinies, des sens profonds, des beautés inconnues. C’était l’intensité de son désir qui créait ces beautés, par une illusion semblable à celle de l’amour : l’homme affamé trouve savoureux tous les aliments, même les plus insipides.

Michelet garda toute sa vie les habitudes d’esprit contractées dans son enfance. Il ne put jamais regarder qu’un petit nombre de points, d’objets à la fois ; mais son imagination s’en emparait avec une force inouïe et finissait par y voir un monde. « Il me suffit d’un seul texte, disait-il, là où il en faudrait vingt à d’autres. »