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tronc surchargé de mousse, les bras drapés tristement de lichens qui les dominent et les étouffent, ils n’expriment que trop bien l’idée qui me suivait depuis ma lecture de Candolle : « La vulgarité prévaudra[1]. » Partout, en effet, la plaine gagne sur la montagne, elle lui fait la guerre, « et elle marche vers elle pour la raser[2]. »

On a souvent parlé, à propos de Michelet, de caprices, de fantaisie, d’imagination désordonnée errant à l’aventure à travers la nature et l’histoire, saisissant vivement telle ou telle chose au passage et comme par hasard, sans se faire de règle, ni se proposer de but. Rien n’est plus inexact. Jamais homme n’a mieux su le but où il tendait, ni dépensé à ses œuvres une plus grande intensité d’application, un plus grand effort de volonté. Une vague sensibilité errant au hasard dans l’espace n’aurait jamais eu cette puissance créatrice. Chaque chose, chaque être que l’imagination de Michelet vivifie ou ressuscite a été pour lui l’objet d’une contemplation passionnée et exclusive ; il a mis à cette contemplation toute l’énergie de désir

  1. La Montagne, p. 344.
  2. Ibid.