l’art et de la conjecture. Renan, qui s’est montré, lui
aussi, dans son œuvre historique, un créateur et un peintre d’une
merveille puissance, me paraît surtout grand pour avoir, avec une
pénétration et une sincérité sans égales, déterminé les vrais caractères
et les vraies conditions de la critique historique. Il a circonscrit le
domaine où la critique historique et l’observation scientifique peuvent
opérer à coup sûr, d’après des règles positives ; mais il a osé dire
qu’en dehors de ce domaine, il entre dans la critique elle-même une part
de subjectivisme, un élément de tact, de divination et d’art. Ses
adversaires ne manquent pas de l’accuser d’introduire la fantaisie et
l’arbitraire dans l’histoire ; ils ne voient pas dans ses hypothèses ce
qui s’y trouve en effet, le scrupule d’un esprit sensible à toutes les
nuances de la vérité, qui saisit avec une extraordinaire délicatesse
tout ce qu’il y a d’incertain, non seulement dans les documents de la
tradition historique, mais aussi dans la critique qu’on leur applique,
et qui accorde plus de certitude aux caractères généraux d’une époque
qu’aux faits particuliers. Ceux-ci n’ont qu’une valeur symbolique pour
ainsi dire, en ce qu’ils caractérisent un état social ou un état d’âme.
Personne n’a apporté autant de tact et de sagacité que Renan dans cette
divination critique du symbolisme de l’histoire, et nous croyons que ses
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