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soit toujours vraie, je ne l’affirmerais pas, mais elle est assurément grande et saisissante. Hugo n’est pas un critique, il n’est même pas un savant ; il avait la science en petite estime, et en cela il était en désaccord avec l’esprit de notre temps ; mais il était un voyant, et, par la puissance de son imagination, il rendait la vie aux époques et aux hommes disparus.

Nous touchons ici à ce qui, dans son œuvre, est le plus vraiment grand et original, à son génie épique. On peut lui dénier le génie dramatique, car il n’a pas la variété de ton qu’exige le théâtre, sa psychologie est superficielle, les sujets de ses drames sont plus étranges qu’émouvants ; ils sont tous le développement d’une antithèse morale péniblement construite, non de passions humaines vivantes et complexes. On peut lui préférer, dans la poésie lyrique, les poètes qui, comme Shelley, révèlent une âme d’une délicatesse, d’une profondeur et d’une sensibilité extraordinaires, et qui, par la magie des mots, nous donnent la subite intuition des mystères de la vie, de la nature et de l’infini ; on peut trouver sa philosophie bien vague et bien simple en comparaison de la subtilité émue d’un Sully Prudhomme. Mais Victor Hugo a doté la France contemporaine d’une littérature épique. Il a fait mentir le jugement fameux : les Français n’ont pas la tête épique. Il a renoué la tradition interrompue de la poésie épique du Moyen âge. Le plus beau de ses drames, les Burgraves, est une épopée dialoguée ; la plus belle